Promenade dans le marais audomarois

L’histoire du marais audomarois commence autour du VIIe siècle avec la fondation de la ville de Saint-Omer en bordure d’une cuvette marécageuse où les eaux de l’Aa se concentrent et s’évacuent difficilement vers la mer.

Au fil des siècles, les prairies inondables ont laissé place à un maillage très dense de parcelles cultivées (lègres) parcourues par plus de cinq cent soixante kilomètres de rivières et de canaux. Le marais concentre sur trois mille sept cents hectares plus de dix mille parcelles cadastrées formant un ensemble paysager de grande qualité à la biodiversité remarquable. Produit d’une tradition agricole, pastorale et maraîchère, il est cultivé par une soixantaine de familles qui exploitent près de cinq cents hectares de terre et fournissent plus de cinquante sortes de légumes.

Un réseau aquatique et paysager

Ces brouckaillers1 sont depuis des siècles les véritables paysagistes de ce territoire où la vision utilitaire a imposé la ligne droite comme structure paysagère. La mise en place du système hollandais de poldérisation depuis le XVIIe siècle a créé un vaste réseau de fins canaux parallèles débouchant sur un collecteur plus important. Les watergangs2 , les rangées de légumes, les haies brisevent, les saules têtards s’alignent en rangs serrés et ordonnent le paysage.

Un équilibre menacé

La terre ferme n’est pas un dû, mais une conquête sans cesse renouvelée. Les maraîchers de l’Audomarois participent activement à l’entretien de leur territoire par le curetage des canaux et la réfection des berges, car l’équilibre hydraulique est fragile. La topographie encaissée du marais pourrait donner à croire qu’il fonctionne en système clos et autonome. En fait, il n’aurait pas d’existence sans la vallée de l’Aa, les coteaux boisés de Watten et la ville de Saint-Omer, véritable porte d’entrée du marais. Il représente un réseau aquatique complexe, organisé autour de multiples éléments permettant la régulation des eaux. Les hommes ont su y développer un véritable inventaire hydraulique se déclinant selon divers registres. Techniquement, la régulation par le marais du cours de l’Aa nécessite de nombreuses vannes, vis d’Archimède, mais également des installations techniques plus originales telles que l’ascenseur à bateau des Fontinettes. Sur le plan de la navigation, deux types d’embarcations spécifiques circulent : l’escute et le bacôve. Cependant ponts, passerelles et bacs à chaîne facilitent le parcours et la découverte d’anciennes tourbières où règnent les poules d’eau et les hérons.

Aujourd’hui, les peupleraies progressent de manière spectaculaire et ferment ces vastes étendues paysagères. Ces plantations intentionnelles, sur des parcelles délaissées entraînent l’abandon des terres, rendues inaccessibles. Les habitats légers de loisirs essaiment à travers le marais, provoquant un impact négatif sur le paysage en raison de leur manque d’organisation et de structuration. L’absence d’entretien des fossés et les dégradations des berges mettent en péril ce système de gestion des eaux entièrement façonné par l’homme. Les spécificités du marais audomarois lui confèrent un statut d’exception que les pratiques naturaliste et touristique ne peuvent suffire à préserver. Différents leviers semblent déterminés à le valoriser, à l’image du Parc naturel régional des Caps et Marais d’Opale et ses actions pédagogiques au sein de la réserve du Romelaëre et de la Maison du marais. Le schéma de cohérence territoriale du pays de Saint-Omer et les réflexions posées dans le cadre de son élaboration devraient également y concourir. La sensibilisation devra être précédée à l’échelle des usagers, maraîchers, habitants et touristes, par une réelle prise de conscience de la place qu’occupe le marais dans le patrimoine régional.

Virginie THÉVENIN
ABF, STAP des Ardennes


PROGRAMME DE PRÉSERVATION

Consciente de la qualité rare de ces paysages et de leur extrême fragilité, la communauté d’agglomération de Saint-Omer (CASO) cherche à mettre en place un programme ambitieux de préservation du marais, qui touche onze de ses dix-neuf communes, mais la région reste marquée par des décennies de mono-industrie (verrerie d’Arques), aujourd’hui en déclin, et la diversifcation industrielle reste une priorité.

Le territoire est certes couvert par un SCOT qualitatif et se trouve dans un parc naturel régional, le marais bénéficie d’un site inscrit et l’ascenseur à bateaux d’Arques, qui vient d’être protégé au titre des monuments historiques, sera bientôt restauré. Mais cela reste très insuffisant pour permettre la gestion durable de la totalité de ce patrimoine menacé.

Concilier des objectifs de développement économique, de maîtrise de l’étalement urbain et de préservation d’un patrimoine naturel comme bâti remarquable aussi varié et étendu nécessite en réalité la mise en place d’une convergence d’outils de gestion et d’utilisation du sol opérationnels et adaptés. Une étude est actuellement en cours pour tester et proposer aux élus et à la population différents scénarios. L’un d’entre eux, à mon sens, est plus pertinent. Il prévoit la création d’un secteur sauvegardé dans le centre historique de Saint-Omer, dont les franges pourraient être couvertes par une AVAP, le tout se trouvant au cœur d’un PLU intercommunal couvrant l’ensemble du territoire. Institué par la loi ENE du 12 juillet 2010, ce nouvel outil de planification relève d’une démarche de projet de territoire véritablement transversale, englobant les domaines de l’urbanisme, du paysage, de l’habitat et des transports et permettant, par le biais des orientations d’aménagement et de programmation (OAP), de mettre au cœur de la cartographie et du règlement, non pas des zonages, mais véritablement du projet urbain. La DDTM du Pas-de-Calais, au côté de l’Agence d’urbanisme et de développement de la région de Saint-Omer, s’investit fortement sur ce projet, et ce PLUi a bénéficié d’une subvention de la part du MEDDE. La CASO, avec ce projet de planification pertinent, a fait partie de la trentaine de lauréats retenus au niveau national.

Si une OAP intelligente et fine précise les modes d’occupation du sol et de gestion des eaux sur le marais, pour en permettre non seulement la préservation mais également la réhabilitation, cela rendra opposables des mesures de paysage et de projet, au même titre qu’une servitude d’utilité publique. Il s’agit ici de voir les espaces protégés, les trames vertes et bleues, les corridors de biodiversité, les plans de prévention des risques, non pas comme des contraintes et des démarches sectorielles, mais comme des atouts, mis ensemble en cohérence et générateurs de projets de territoire. Il s’agit d’intégrer en amont des projets la gestion de l’eau et la préservation des ressources comme du patrimoine en général, et non en aval comme trop souvent. Travailler avec le “déjà là”, imposé dans un document d’urbanisme. La Maison du marais sera une belle illustration de ce postulat. Reste à mettre en place un mode de gouvernance ad hoc, pour en assurer la bonne mise en œuvre au quotidien.

Anne-Lorraine LATTRAYE
Chef du service urbanisme, Direction départementale des territoires et de la mer du Pas-de-Calais

  1. Maraîchers du marais audomarois.
  2. “Chemin d’eau”, en hollandais.
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